Face au chemsex, urgence d’une réponse sanitaire, communautaire et non-répressive
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Résumé

La pratique du chemsex est en pleine expansion, notamment parmi les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH). Ce phénomène soulève de graves enjeux de santé publique, de santé mentale, de lutte contre les discriminations et d’inégalités d’accès aux soins. Les décès liés au chemsex sont largement sous-estimés, et les dispositifs de prévention, de réduction des risques, de soins et d’accompagnement restent insuffisants. Il est urgent d’élaborer une stratégie publique à la hauteur des enjeux : fondée sur la prévention, le soutien communautaire avec une réponse pluridisciplinaire sans jugement. 

Exposé des motifs

Le chemsex, contraction des mots chemical et sex, désigne la consommation de substances psychoactives en vue d’avoir des rapports sexuels, principalement chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), bien que d’autres publics puissent aussi être concernés. Il implique l’usage de produits comme le GHB/GBL, les cathinones synthétiques (3-MMC, etc.), la méthamphétamine, la cocaïne ou la kétamine, sur des périodes pouvant aller jusqu’à plusieurs jours. Cette pratique, facilitée par les applications de rencontre géolocalisées, vise à intensifier le plaisir sexuel ou à désinhiber les rapports.

La prévalence du phénomène est difficile à établir, du fait de définitions variables selon les études et des biais de sélection, mais surtout du caractère clandestin car répréhensible. Le chemsex serait pratiqué par 13 à 14 % des HSH dans les douze derniers mois et 5 à 7 % au cours du dernier rapport sexuel selon la dernière enquête de Santé Publique France.

Ce phénomène s’ancre dans un contexte de vulnérabilités structurelles. Les personnes LGBTQ+ sont exposées à des formes systémiques de précarité et d’oppressions, d’autant plus fortes pour celles étant à l’intersections de plusieurs discriminations. La théorie du stress minoritaire met en évidence les formes de stress à la fois externes (rejet, stigmatisation) et internes (honte, anticipation du rejet, dissimulation), pouvant affecter durablement leur santé mentale.

Le chemsex peut alors apparaître comme un moyen de faire face à ces souffrances, de créer du lien communautaire, ou de construire des espaces de sociabilité et de reconnaissance, en particulier au sein de communautés valorisant l’expérience sexuelle.

Toutefois, cette pratique comporte aussi des risques sanitaires majeurs : surdoses, infections sexuellement transmissibles (y compris VIH ou hépatites), troubles psychiques, troubles du sommeil, dépressions sévères, conduites addictives, isolement social, etc… Les produits consommés peuvent entraîner des urgences médicales (malaise, dépression respiratoire, arrêt cardiaque, coma), d’autant plus graves que les participant·e·s hésitent à appeler les secours par peur de poursuites judiciaires liées à la consommation de substances. Cette réticence contribue à retarder ou empêcher, une prise en charge rapide qui pourrait pourtant sauver des vies.

Entre 2021 et 2023, les centres d’addictovigilance ont recensé 564 cas de complications médicales liées au chemsex, dont au moins 49 décès. D’autres morts, survenues en différé – suites de complications organiques ou suicides en lien avec une détresse psychosociale – ne sont pas comptabilisées, par manque de données ou du fait de l’invisibilisation du phénomène (non-déclaration, faible culture d’addictovigilance, détection difficile de certains produits, tabou).

L’affaire Palmade a fortement médiatisé la pratique du chemsex. Cependant, plutôt que de faire émerger un débat de santé publique, cette exposition médiatique a souvent alimenté stigmatisation et appels à la répression, comme en témoigne la rhétorique de certains responsables politiques appelant à une « guerre contre les consommateurs ».

Pourtant, des initiatives publiques ont émergé. En 2023, le “plan chemsex” lancé par la Ville de Paris, sous l’impulsion des Écologistes a permis de financer des actions communautaires ciblées. Le rapport du Pr Benyamina (2021), commandé par le ministère de la Santé, a proposé des recommandations concrètes pour structurer une réponse nationale. Le projet “ARPA Chemsex” a expérimenté une approche de terrain innovante, articulant auto-support, accompagnement pair, réseau pluridisciplinaire de professionnel·le·s de santé et réduction des risques. En mars 2025, l’Assemblée nationale a adopté une résolution appelant à une stratégie nationale. Un plan gouvernemental est attendu pour septembre 2025. Néanmoins, sans moyens dédiés, sans rupture avec la logique répressive et sans volonté politique, ce plan restera largement symbolique.

Face à ce constat, la réponse doit reposer sur une politique de santé publique cohérente, déployée à l’échelle nationale, mais adaptée aux réalités locales et communautaires. La réduction des risques et des dommages liés à l’usage de drogues doit être renforcée et adaptée au chemsex ; par la diffusion massive de matériel stérile, d’analyse de produits, d’informations sur les dangers liés aux mélanges de produits, et de pratiques plus sûres. Les services de santé doivent cesser d’être perçus comme des espaces jugeant ou répressifs, au risque de ne jamais être identifiés comme des points de contacts rassurants pour les consommateur·ice·s.

On sait depuis les débuts de l’épidémie de VIH qu’une réponse communautaire est la seule efficace face à des enjeux sanitaires communautaires. Une réponse efficace doit intégrer les professionnel·le·s de santé dans une logique de réseau interdisciplinaire, mêlant addictologie, infectiologie, santé sexuelle, santé mentale, ainsi que les associations communautaires.

Motion

Les Écologistes défendent un plan national sur le chemsex ambitieux fondé sur la prévention, la réduction des risques et des dommages, ainsi que le soutien communautaire, incluant :

  • Des campagnes qui doivent être construites par et pour les personnes concernées par le chemsex, avec le soutien d’associations communautaires et d’auto-support. 
  • Des campagnes d’information sur les différents produits, leurs effets, les modes d’administration, les interactions entre substances et les risques liés à leur consommation.
  •  Des campagnes de prévention et de réduction des risques ciblées, déployées sur les applications de rencontre géolocalisées, notamment celles utilisées majoritairement par les HSH, qui font partie intégrante des pratiques de chemsex.
  • Des campagnes d’information et de sensibilisation développées et déployées dans l’ensemble du territoire, dans le principe de l’ « aller vers » les publics vulnérables au plus près des milieux de consommation et de pratiques sexuelles (bars, sexclubs, saunas…) ou privés ainsi que sur Internet (applications de rencontres pour HSH…).
  • Un soutien actif du Ministère de la santé aux associations communautaires dans leurs actions, afin de lever les obstacles juridiques invoqués pour freiner la réduction des risques au nom de la pénalisation de l’usage de stupéfiants (applications, lieux de sociabilisation…).
  • Une cartographie des professionnels de santé et acteurs communautaires accueillant les personnes concernées par le chemsex réalisée par les ARS, afin de structurer un réseau territorial de proximité, facilitant l’orientation, la coordination, et le renforcement de personnes ressources issues et reconnues par les communautés.
  •  La formation des professionnels de santé, et le développement de médiateurs en santé, notamment communautaire.
  • Le développement et le déploiement des centres de santé et de médiation en santé sexuelle (anciennement centres de santé sexuelle d’approche communautaire), permettant un accès aux soins digne et adapté pour les populations les plus éloignées du système de santé traditionnel, dans une approche communautaire.
  • Un principe du « bon samaritain », comme au Canada, permettant de protéger de poursuites pour usage de stupéfiants les personnes appelant les secours en cas de surdose, afin d’encourager le recours aux services d’urgence et de sauver des vies.
  • Le développement des dispositifs d’analyse de produits pour réduire les mésusages (surconsommation, mélange) de produits liés au manque d’information sur leur provenance ou leur composition, en modifiant notamment l’arrêté du 24 avril 2004 afin d’autoriser le recours au testing (analyses rapides de substances par réactifs, immédiat, autonome et accessible), outil essentiel de RdR comme les analyses qualitatives en laboratoire autorisées depuis 2016.
  • Un financement renforcé des associations communautaires, actrices centrales de la prévention et de l’accompagnement de ces publics.
  • La dépénalisation de l’usage de drogues