D’après les recherches conduites par Vanessa Jérome et Hugo Bouvard, dans le cadre de la publication de leur article « Esquisse d’analyse des trajectoires politiques et conjugales de militant(e)s LGBT écologistes », Parlement[s], Revue d’histoire politique, 2-30, 2020, p. 119-140.
C’est vraisemblablement en 1992, et alors que plusieurs partis se sont déjà dotés de structures similaires1, que débute l’histoire de la commission. Au sein du parti écologiste, qui soutient officiellement la revendication de Contrat d’Union Civile, se crée un groupe « Gays et Lesbiennes chez les Verts »2. Au départ informel et animé principalement par d’anciens militants homosexuels ayant rejoint le parti, comme Jean-Luc Dumesnil ou Pierre Gandonnière, le groupe diffuse un bulletin d’information, Les lauriers roses, qui atteste de ses activités : participation à diverses manifestations telle que la Gay Pride, présence aux journées d’été du parti, contribution à l’élaboration des prises de position des Verts sur les questions qui font l’actualité à l’époque, de la lutte contre le sida à la reconnaissance de la « déportation homosexuelle »3. Si la création du groupe ne semble pas poser de problème, des cadres du parti, dont sa porte-parole et députée européenne Dominique Voynet, refusent, pour commencer, de lui octroyer le statut de commission thématique nationale4. Interrogée par le Collectif pour le CUC, cette dernière déclare ainsi à l’époque :
À quoi sert une commission gais et lesbiennes chez les Verts ?
D.V. : Les Verts ont une maladie qui est de créer des commissions et je ne suis pas convaincue qu’il soit utile d’avoir une commission faune sauvage et une commission chasse et une commission sports. […] Ce groupe n’est pas conçu comme un ghetto. […] quand le responsable de la commission gaie écrit : « c’est donc avec fierté que j’assume mon homosexualité là où je suis, chez les Verts », cela m’exaspère. Je remplace le mot homosexualité par hétérosexualité et je pense à Tapie qui est fier d’être hétéro. C’est insupportable.5
Le groupe n’obtiendra le statut de commission pleine et entière qu’en 1995. Outre la légitimité qu’il confère au sein du parti, ce changement statutaire lui permettra, notamment, de disposer d’un modeste budget de fonctionnement.
Dans la deuxième moitié des années 1990, le groupe est relativement peu actif – Pierre Gandonnière l’anime depuis Lyon – mais gagne des adhérent·e·s, dont certain·e·s occuperont des fonctions d’animation de la commission, tels Pierre Serne, Jean-Bernard Peyronel ou Alain Piriou. La commission se réjouit néanmoins que le parti se fasse le relais des revendications du mouvement homosexuel dans le champ politique, notamment à l’occasion de la candidature de Voynet à l’élection présidentielle de 1995, lors des débats conduisant au vote du Pacs puis de ceux permettant l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Dominique Voynet, malgré sa déclaration, accorde également plusieurs interviews à la presse homosexuelle, dans lesquelles elle s’abstient d’émettre des critiques sur la commission et son fonctionnement.6
C’est sous la houlette d’Alain Piriou que la commission poursuit, à l’aube des années 2000, son travail de sensibilisation à l’égalité des droits et de représentation politique. Le leadership de la commission se féminise, avec l’arrivée d’Élisabeth Loichot qui parvient à imposer la coprésidence paritaire de la commission au tournant des années 2000. C’est également au début de ces mêmes années que la commission change son appellation pour inclure les personnes bisexuelles et transgenres7, comme c’est le cas au même moment d’autres groupes8. Deux traditions sont ainsi inaugurées : la co-animation paritaire (Alain Piriou et Élisabeth Loichot forment le premier tandem)9 et l’investissement dans les instances de fédération et de représentation du mouvement gai et lesbien, dont l’Inter-LGBT et l’ILGA-Europe. Philippe Colomb, Pierre Serne et Florence Bertocchio ont par exemple tou·te·s été impliqué·e·s dans l’Inter-LGBT et l’ILGA-Europe, et Alex Deval, co-responsable avec Philippe Colomb à partir de 2013, puis avec Jean-Sébastien Herpin jusqu’en 2018, ont perpétué cette tradition.
Depuis lors, les responsables de la commission gay et lesbienne, devenue commission « LGBT » en 2002, portent les luttes LGBT à l’intérieur du parti. Alors que dans la période 2000-2004, Jean-Bernard Peyronel et Élisabeth Loichot ferraillaient sur la question du mariage – alors que la plupart des positions partisanes sont alignées sur les revendications majoritaires des fédérations LGBT, ils doivent convaincre les responsables du parti de se prononcer en faveur de l’ouverture du mariage et de l’adoption pour les couples de même sexe, ce qui, dans le parti comme dans le reste de la société, ne va pas de soi – les responsables qui leur ont succédé ont eu à animer d’autres débats, sur la prostitution, l’accès aux traitement VIH et Prep, la procréation médicalement assistée aux couples de femmes…
Ces dernières années, sous l’influence de l’affaire Baupin, du mouvement Metoo et d’une grille de lecture plus intersectionnelle des thématiques, la convergence des thèmes et des actions avec la commission Féminisme du parti se fait plus patente. Une évolution qui s’inscrit également dans la lettre de ces commissions puisque de manière pas uniquement symbolique, Alex Deval siège dans l’équipe d’animation de la commission Féminisme pendant que Rosalie Salün siège dans la commission LGBT.
Notes :
1- Voir Hugo Bouvard, « Homosexuel-le-s et socialistes ? » Ethnographie d’une mobilisation pour la cause des homosexuel-le-s au Parti socialiste, mémoire de master 2, ENS, 2013 ; Maurice Avramito, Quand les gais et lesbiennes voient rouge ! La Commission Nationale Homosexuelle de la LCR et le devenir biographique de ses militant(e)s, Mémoire de master 2, Université de Lausanne, 2016. À noter que le parti écologiste est l’un des seuls partis, avec le Parti Communiste, à traiter ces questions en interne et à ne pas les « déléguer » à des structures satellites ou associées, comme dans le cas du PS ou de l’UMP.
2- « Gays et Verts », Illico, avril 1993, p. 49.
3- Les lauriers roses, printemps 1994, Fonds Stéphane Martinet.
4- À cette époque, les règles du parti stipulent que l’existence de commissions nouvelles doit être ratifiée par le parlement interne (le Conseil national interrégional – CNIR). Pour être créées, les commissions doivent reposer sur « l’existence d’une volonté de cinq membres au moins de travailler de conserve ». Leur pérennité est, quant à elle, le fruit de l’engagement de leur « animateur » de présenter régulièrement le travail réalisé devant le CNIR et de participer aux rencontres avec les autres commissions pour « confronter les voies de recherche et s’assurer de leur comptabilité avec les orientations du mouvement ».
5- « Un autre regard sur les pratiques et les comportements », interview de Dominique Voynet par Gérard Bach-Ignasse et Jean-Claude Pouliquen, Humoeurs, n° 5, septembre 1993, p. 5-6.
6- Voir par exemple, « Dominique Voynet, le CUS pour les législatives », interview de Dominique Voynet par Olivier Razemon et Jean-François Laforgerie, Ex Aequo, n° 1, novembre 1996, p. 10.
7- Archives personnelles d’Élisabeth Loichot.
8- Massimo Prearo, « La naissance de la formule « LGBT » en France et en Italie : une analyse comparative des discours de mobilisation », Cultures & Conflits, 97, 2015, p. 77-95.
9- Élisabeth Loichot et Alain Piriou, “Enfin!”, Vert Contact, 9-15 October 1999.